Découvrir le dernier roman de Lyonel Trouillot, ‘‘Antoine des Gommiers’’ (Actes Sud, achevé d’imprimer en novembre 2020 à Lonrai, France et Editions Atelier Jeudi Soir, Port-au-Prince, décembre 2020), c’est un peu entrer dans la tête de cet esprit impertinent, imprécateur farouche parmi les rebelles de notre littérature, tant ce prototype lumineux contenait déjà tout l’imaginaire qu’il allait déployer par la suite : le balayage du pays du côté des bas-fonds, la constance dans certains effets de miroir et de choix thématiques (l’option préférentielle pour les pauvres, l’amour du beau, le goût des contrastes, l’esthétisation des personnages et des événements, l’enfermement ou le confinement des espaces réduits, la multiplicité des personnages),l’errance post-macoute érigée en principe de narration, et une écriture poétique dense tenant lieu de langage – ses romans sont peuplés de ces années perdues à l’image d’une jeunesse en déroute, sans avenir (sacrifiés comme on dit chez nous sur un ton résigné), portant l’échec collectif « à l’écran » comme jamais auparavant.
La renommée d’Antoine des Gommiers est surfaite, légendaire même, à l’instar de son compatriote jérémien Louis Jean Beaugé qui était un militaire intrépide lui aussi adepte du vaudou. Mais il y a une chose surprenante et curieuse qui naît de cette figure célèbre pour tout Haïtien conséquent : la descendance d’Antoine des Gommiers. Taisez-vous ! Même vos pensées font un boucan d’enfer. Même vos rêves pétaradent sous la plume alerte et stridente de LyonelTrouillot. Mais taisez-vous, « petit peuple du corridor » ! Et à la fin, vous saurez pourquoi.
« Antoine des Gommiers, houngan et devin, dont il est dit qu’il n’élevait jamais la voix, mangeait peu, buvait peu, n’entretenait de relations sexuelles avec sa femme et ses maîtresses que les jeudis dans les mois pairs, un mercredi sur deux les autres mois, avait inscrit à lui tout seul le nom de son village sur la carte du département, du pays, de l’Amérique, voire du monde.
« Grâce à lui, Les Gommiers n’a rien à envier aux villes historiques, Le Cap avec sa Citadelle, Marchand-Dessalines avec ses forts, Camp-Perrin avec ses grottes. » (p. 11)
« De tous les lieux du pays, Les Gommiers est le seul qui voyage sur l’ensemble du territoire et se trouve mêlé à toutes les conversations, aux aventures et mésaventures de la vie privée comme de la sphère publique. Dans les antichambres, les alcôves, les cercles mondains, à l’heure des coups d'État et dans les réunions des conseils d’administration, à Cité l'Éternel comme à Cité-Carton, où la boue peut parfois s’élever à hauteur d’homme et les décharges du littoral se solidifier, s’avancer dans la mer et devenir des îlots, chaque fois qu’il est question de choisir son chemin, d’être droit dans ses pas ou de se tromper sur soi-même, il y a toujours une voix pour dire : ‘‘Si tu persistes dans l’erreur …’’ » (p. 13)
Incontestablement, Antoine Pinto, dit Antoine des Gommiers, avant la Seconde Guerre mondiale, fut l’un des hommes les plus sages et inspirants du temps passé, illustre houngan et devin qui recevait des mendiants de miracles de tous les milieux et de toutes les races. Bien qu’il soit entré dans l’histoire en tant que devin réfléchissant sur le temps et la destinée humaine, il était d’abord et avant tout un homme avisé, très écouté. Confiné au fin fond de Jérémie (chef-lieu du département de Grand’Anse (Sud d’Haïti), dans la longue plaine des Gommiers qui finit dans la mer (d’où le nom d’Antoine Nan Gonmye), il a réussi à comprendre en profondeur la nature humaine à l’une des époques les plus décadentes de l’histoire, dit-on.
Quelle descendance ? Franky et TiTony sont deux frères sans papa. L’intello et le magouilleur. L’un pense. L’autre agit en vagabond. L’un fait réfléchir. L’autre pleurer. L’un encapsule l’air du temps. L’autre vise la réussite. Un duo détonant mais étrangement solidaire. Sauf que non. Chhhhut … Leur mère, Antoinette, à qui ils portent tous deux un amour aussi grand que le ciel, leur a toujours dit qu’ils étaient les descendants – peut-être les seuls connus jusqu’ici ? – d’Antoine des Gommiers avec sa famille élargie. Comme d’autres grandes figures de la fiction romanesque, Lyonel Trouillot se caractérise par une ferveur insatiable qui lui permet de s’immerger dans différents univers, différentes cultures et croyances avec une grande ouverture.
« Franky, c’était son préféré. Antoinette, c’était une pauvrette avec des jambes fatiguées, deux fils, un batailleur et un asthmatique, parmi lesquels un préféré. » (p. 41)
À travers des flopées d’anecdotes, de palabres sans fin et de réflexions savoureuses, empreintes d’une profonde vérité, plus lucide et impertinente que toute admiration figée, LyonelTrouillot dessine le bouleversant portrait de deux époques qui ne coïncident pas, inflexiblement libres et confondues à leurs agrégats puisque Franky, si fidèle à ceux qu’il aime, préfère reconstituer le passé pour suivre les traces de son ancêtre et Ti Tony, lui, décrit amèrement – véridiquement je veux dire – la réalité de leur existence malaisée dans le corridor « serré » de la Grand-Rue. Le corridor, rappelons-le, est un espace confiné. L’effroyable aventure des deux frères avec des gamins bandits (pp. 113-122) montre, entre autres, le caractère tragique et les surprises dramatiques qui traversent ce roman (débordant de bons sentiments) d’une actualité si attristante.« Ici, pour durer le temps d’une jeunesse, explique-t-il, il faut naître gangster ou pute. » (p.14)Ce dernier est un observateur réfléchi qui a la parole acerbe, un grand amateur de sentences et de formules assassines. Comme son géniteur littéraire, somme toute ! Quel langage châtié ! Une véritable mise en scène qui s’étire en un temps diffracté, parfois imprévisible. On ne s’ennuie jamais avec Franky.
« Le corridor n’est pas un lieu vers lequel les gens se déplacent pour chercher de nouvelles personnes avec lesquelles lier amitié. Ici, on a les amis de toujours qui partagent notre condition. Si quelqu’un commettait l’erreur de nous dire qu’il nous vient en ami, tout de suite on comprendrait qu’il mène une vie pire que la nôtre et cherche des mots pour s’installer. Il faut vraiment être dans la merde pour trouver dans les corridors le rêve d’un meilleur ailleurs. Déjà qu’on y est trop nombreux. » (p. 129)
Quelle imagination soutenue ! Quelle audace ! Mais LyonelTrouillot, ce n’est pas seulement un aplomb, ni une force de la nature. Derrière l’extraordinaire réussite de l’écrivain prolifique dont la valeur est connue dans le monde entier, il y a un créateur qui a mis, dans sa vie, l’imagination au pouvoir, un créateur-né, un artiste à la vision réflexive toujours en éveil. Avant tout, un être généreux et curieux, un poète engagé, un humaniste révolté. Il y a chez lui une sorte d’humour triste, de goût pour la pitrerie laborieuse et un sens très grand de la dérision et de la vanité de la comédie humaine. Le leitmotiv est là. On voit tout ça ici avec Ti Tony qui revient sans cesse sur des sujets biaisés dans une série de commentaires, de pensées, de digressions, de monologues et de souvenirs accablants suivant une rythmique crispante. Devenu paralysé à la suite d’un accident, Franky, lui, son rêve c’est d’écrire un livre sur Antoine des Gommiers « qui n’avait rien d’un bel homme, ni d’un athlète ». Maître Cantave qu’un de ses élèves, Pépé le Cancre, flinguera par la suite en lui coupant les bras, lui a tout appris, surtout « cette affaire de figure de style ». La scène où Franky accompagné de Pépé et Triangle, deux truands armés, a été voir le président de la Société d’histoire à Péguy-Ville dans sa résidence luxueuse pour le forcer à publier le livre de Franky sur Antoine des Gommiers qui « cultivait le mystère » est on ne plus pathétique, édifiante, digne d’un film de mafia ainsi que la mort d’Antoinette, la doyenne du corridor donnant sur la Grand-Rue.Il y a là un amour vrai de l’écriture et une voix très particulière qui émerge de la cacophonie contemporaine.
Ces idées de progrès et de compassion, toujours fermes et sincères, il nous en livre, dans ce roman aux lisières du surnaturel, de pleines brassées. Avec les mille images d’une fiction singulièrement bien remplie, un bon sens jamais en défaut et l’enthousiasme du jeune homme qu’il n’avait jamais cessé d’être. Dans ses écrits publiés dans les années précédentes, Lyonel Trouillot, travaillant lui-même à son art avec passion, rigueur et séduction, vante le pouvoir du trait, sa faculté à rendre la forme des choses, mais aussi, par des menues variations, des sauts en hauteur, leur nature contrastée. La maîtrise du portrait permet de faire reconnaître, en surface. Aucune cachotterie, aucun jeu de falsification, juste la finesse et la vérité. C’est le principe de l’imitation qui permet aussi de faire connaître, en profondeur. C’est le rôle de la stylisation ou de l’esthétisation.
« Dans le corridor, le dimanche matin, ça pue moins que les autres jours. La misère, c’est quand elle s’active qu’elle répand vraiment ses odeurs. Avec la sueur, les marchandises pourries, les restes qu’elle promène dans des vieux sacs troués. Le dimanche matin, c’est son heure de repos. Le repos du pauvre, c’est l’ennui. Alors pour se désennuyer tout le monde écoute la radio. Et ça fait un sacré concert. Les sermons des évangélistes qui n’attendent que l’Apocalypse. Les émissions de dédicaces de chansonnettes françaises d’un autre temps, ‘‘Parlez-moi d’amour ‘‘à Joëlle qui fête ses quinze ans, de la part d’un admirateur’’, Acropolis Adieu, ‘‘pour la petite Agathe portée en ce jour sur les fonts baptismaux de la part de son parrain.’’ Les messes catholiques. Les historiettes du président. Les annonces de décès accompagnées d’une musique qui semble jouée par des fantômes. Les boléros d’autrefois. Toutes ces sonorités s’engouffrent dans le passage. » (pp. 47 - 48)
« Pour les auditeurs et les chroniqueurs de Métromachin, nous, des corridors, on est tous semblables. Ils ne parlent de nous qu’au pluriel. Pour eux, la pauvreté c’est notre identité. Ils croient qu’on a le même rapport aux choses et qu’on pisse tous à la même heure. » (p. 155)
Cette fois, on change carrément de position. L’ère de l’individualisme a sonné. Le rire est devenu caustique, grincheux, cynique. Et à ce petit jeu, LyonelTrouillot excelle. Avec jubilation. Son obsession reste l’avenir de la patrie menacée par la perte des valeurs et les progrès incommensurables de la pauvreté, de la misère. Et le pouvoir moral ou incantatoire de la littérature, son impuissance face à un événement comme l’amnésie ou l’ignorance collective. Son travail de mémoire appuie là où ça fait mal et se plaît à farfouiller – trifarfouiller sans cesse dans les plaies de la société. Tout est à l’avenant : on met en scène plusieurs espaces – le rural et l’urbain, la nature paysanne et la crasse des quartiers pauvres – sous pression. Une histoire cursive de pauvres et de gangs, soigneusement écrite, mais une histoire à fragmentation, amplement émouvante.Une histoire de gagne-petits, de débrouillardise, de récriminations sourdes, de souffrances, d’imperceptibles frustrations populaires, d’indistincts signes de révolte. Pas de happy-ending, donc.Et pourtant on sent, on sait de manière flagrante que quelque chose dans ce roman de l’apitoiement est le professeur Lyonel Trouillot. Quelque chose qui tient à une tonalité de voix, un passé décapant, une acuité de regard et surtout un réalisme glauque, dérangeant. Quelque chose qui tient aussi et surtout à une tension permanente vers la transmission qu’on devine dans l’identité malheureuse des personnages (Danilo, Maître Cantave, Pépé le Cancre, Alésius Fortin, grand-mère Hortense, Moïse, Baba, Monsieur Guillaume, Triangle, Magdalène, Doriane, Joanna, Martine, Speedy), dans leur enchevêtrement théâtral. Les idées d’Antoine des Gommiers avec ses « précieuses divinations » sont précieuses à (re) découvrir aujourd’hui, d’après Lyonel Trouillot qui alterne les paysages champêtres avec des scènes urbaines misérabilistes.En vérité, pour donner du rythme à cette débauche ininterrompue de précarité sociétale, il faut un trait vif et des cadrages qui surprennent en permanence.
« Dans un pays d’aspérités où il se dit que derrière les montagnes il y a d’autres montagnes », LyonelTrouillot fait « parler » un regard, un paysage ou des légendes, avec une éloquence immédiate que ne peut atteindre l’expression écrite. Relayant le rédacteur en chef et directeur-propriétaire du journal Ad libitum, un périodique d’une feuille volante basé à Jérémie qui couvrait en détails les activités d’Antoine des Gommiers, il se saisit des sujets qui fâchent, franchissant allègrement les limites du politiquement correct. Parallèlement aux descriptions sans filtre de Ti Tony, narrateur volubile et critique sociologique à sa manière, le second prisme biographique qui compose ce roman en entonnoir met en relief avec beaucoup d’emphase la figure et les actions d’Antoine des Gommiers. On y retrouve une suite d’histoires plus que mystérieuses, c’est-à-dire fantastiques comme l’histoire d’AlésiusFontin (pp. 124-128) ou de la femme à la beauté ensorcelante (pp. 133- 139). On y découvre une fois de plus un auteur aguerri qui n’aime rien tant que se battre avec les injustices et la fatalité, un écrivain fidèle à ses idées obsessionnelles qui laissent la part belle – j’allais dire grimaçante comme la vraie vie – aux gens du peuple et à leurs souffrances quotidiennes.Profondément attaché à la liberté individuelle, il hait les mensonges, les stéréotypes, les radotages. Obsédé par la question existentielle de la misère dans les quartiers démunis (corridors, cités, bidonvilles, ghettos, tout ce que l’on veut) comme on le constate dans « Antoine des Gommiers » avec beaucoup d’âpreté, il abhorre les béni-oui-oui, les tièdes, les magouilleurs et les suiveurs.
« Franky, il a donné du bleu, des branches aux arbres morts, jeté les barrières, les barreaux, les frontières, sorti des gens de leurs prisons, remplacé le macadam par la mer, la poussière par un vent doux. Devin ou pas devin, Franky il l’a rénové ; son Antoine des Gommiers. Il l’a repeint. Et repeindre un homme, ça vaut mieux que de repeindre un vieil immeuble de deux étages de la Grand-Rue. Repeindre un homme pour qu’on comprenne enfin que c’est bien vrai, si tu persistes dans l’erreur … Alors, qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce soit une fable ! Et, toi, monsieur le président, dans tous ces livres sur tes beaux rayons, distingues-tu le vrai du faux ? Entre le fait et l’aspiration, il y a une place pour le mystère. » (p. 197)
Friand de formules et d’auto-réflexions en forme de maximes, LyonelTrouillot a le talent d’épuiser une question comme personne en une litanie bourrée d’a priori. De long en large, par l’accumulation des portraits comme par volonté de dresser des jugements sans appel, ses romans épousent un spectre fluide, la religion, la misère, les arts, la psychologie, l’amour, la violence, les « passions tristes », la sociologie, l’histoire, les enfants, la tragédie haïtienne. Son trait ne pèse jamais ; il conserve une délicieuse justesse de ton, une grâce langagière certaine. Le savant dosage qu’il opère entre précision et exagération est irrésistible.
Tout est binaire ici et – sans doute – à dessein. D’abord la structure même de cette œuvre palpitante, comme on l’a vu, qui entretient un rapport singulier à l’enfermement, au confinement. Son écriture dramatise le propos jusqu’à satiété. Franky-TiTony, campagne-ville, passé-présent, réalité-surnaturel, mal-bien, espérance-désespoir. Une mère, Antoinette qui jouait éperdument à la borlette, l’arrière-petite-nièce d’Antoine des Gommiers, avec deux fils à la fois éloignés (par leurs goûts ou aptitudes) et proches (par leurs sentiments filiaux). Deux Kavalyepòlka. Désormais, les dés sont jetés. « Franky exilé sur sa chaise roulante ». Ti Tony, l’employé d’une banque de borlette. Et comme LyonelTrouillot a toutes les audaces, il imagine une sorte de dialogue à distance entre les deux frères, une introspection qui oblige Franky à rencontrer son double. Et il y a des pages entières de ce genre d’échanges, un peu chavirants, pathétiques, sans intérêt apparent pour les esprits hagards. On peut naturellement penser à un roman « transhistorique » sur la foi en l’avenir (le passé comme repère) et, conséquemment, le désarroi contemporain. Le passé et le présent s’accouplant pour donner vie à des visages déchirants, à des scènes pénibles. D’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre, d’un monologue à l’autre, les ambiances affolantes surgissent et les transitions se déroulent avec régularité. Les ruptures cadencent le récit et finissent par l’apparenter à une épopée, plus encore qu’à une aventure. Cela participe de la modernité d’« Antoine des Gommiers », tel qu’il aurait pu être, si l’on lit attentivement Ti Tony, pas forcément tel qu’il a été.
Les deux principaux personnages – Franky et Ti Tony jouent de leur opposition de caractère et de vie. Elle est une marque de fabrique, mais aussi une sorte d’élan vital. Leur vitalité y trouve une énergie permanente. La précision est d’importance : pour des lecteurs assidus. C’est donc un des romans de LyonelTrouillot, plein de paradoxes, qu’il conviendrait de lire en urgence, après avoir parcouru ses précédents romans, ponctués d'une morbidité accentuée. Rares sont les romans qui résonnent aussi froidement avec les questions d’actualité, comme les gangs, la misère, l’obsession de la borlette, la migration vers d’autres rives (Chili, Brésil), ou le monde des divinations. Ici, les paysages, les pensées, les messages eux-mêmes se prêtent à ce dispositif : LyonelTrouillot se fait non équivoque. C’est dire combien, en ces jours de claustration pandémique et d’insécurité galopante, le lecteur possesseur d’« Antoine des Gommiers » est un peu plus soucieux que les autres. En dépit de son aspect pointilliste et anecdotique, il donne à voir l’évolution des mentalités et de notre société pendant plus d’un siècle. Ce qui est énorme ! Cet éloge d’Antoine des Gommiers avec son « image d’un voyageur rendu dans mille lieux » donne lieu à quelques passages étonnamment révélateurs et radicaux :
« Au-delà des stratégies de mise en scène et des artifices de langage si chers à Antoine des Gommiers, nous retiendrons de lui trois choses.
« L’intérêt qu’il portait aux enfants, dans lesquels il semblait voir ses véritables interlocuteurs.
« Le fait qu’aucun pouvoir institutionnel n’a songé à le valoriser. Antoine des Gommiers n’a inspiré ni colloques ni monuments. C’est une légende qui traîne par terre. Qui vit dans les tap-tap, les bas quartiers. Peut-être parce que les pouvoirs n’aiment pas le mystère. Peut-être parce qu’ils savent qu’il n’y a d’autre mystère dans la vie que ce que nous faisons d’elle et de nous et refusent de plébisciter une figure qui nous le rappelle.
« La troisième chose, et c’est elle qui nous intéresse le plus en tant que chroniqueur, c’est que, documents authentiques ou apocryphes, sources douteuses ou références vérifiables, l’on ne chronique jamais le passage des êtres. Rien que les vérités et les contre-vérités qu’on veut bien en extrait. À chacun ses mystères et ses révélations dans cette guerre à distance qu’est l’acte de langage. C’est pourquoi il est vain et utile de dire : ‘‘Si tu persistes dans l’erreur …’’ » (p. 202)
Lyonel
Trouillot est imprégné d’une profonde et fracassante culture agnostique. Ce n’est pas la pensée magique qui est mise en cause, mais un comportement collectif viscéral qu’il déclare néfaste et destructif. Il y a plus d’optimisme, de positivité, de vie et de séduction touchante entre le récit de Franky dans lequel il y a une grosse part d’invention et sa mère et entre les leçons d’Antoine des Gommiers que chez tous les personnages de ses précédents romans. Au point que l’esprit de fraternité et de solidarité en est l’un des principaux personnages, le message-clé. Ce qui est sûrement palpitant et significatif.
James-Son DERISIER, étudiant en Master Interculturalité à l'université de Guyane et diplômé en M2 Histoire et Géographie
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